Présentation - Penser l’« agitation » et les trajectoires des enfants « non conformes » : expériences sociales et culturelles au Brésil11Les résultats présentés dans ce dossier par les auteures brésiliennes sont issus de trois recherches différentes. La recherche post-doctorale « Les significations sociales et culturelles des problèmes de santé mentale des enfants à Santos (Brésil) et Paris (France) : représentations contemporaines de l’enfance » a été financée par le Conseil national du développement technologique et scientifique (CNPq-Brésil). Les deux recherches : « Le contrôle de l’enfance : modes de médicalisation » et « Les réseaux de demande et de soins en santé mentale de l’enfant - relations sociales, familiales, scolaires et sanitaires autour des problèmes d’apprentissage et de comportement de l’enfant » ont été réalisés à Campinas avec le soutien financier de la Fondation de recherche de São Paulo (FAPESP-Brésil) pour la première et du Conseil national du développement technologique et scientifique (CNPq-Brésil) pour la deuxième., au Chili22Tous les auteurs chiliens de ce dossier ont participé à la recherche « Trajectoires de malaise chez les enfants diagnostiqués TDA/H (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) : expérience sociale et subjective d’une souffrance multiforme », développée par le LaPSoS. Cette recherche a été financée dans le cadre du Concours pour le renforcement de la productivité et de la continuité de la recherche (FPCI) de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université du Chili, ainsi que par le CONICYT, à travers son Programme de coopération internationale et de soutien à la création de réseaux internationaux entre centres de recherche (concours 2017), Folio REDES170095. et en France33Les auteurs français de ce dossier ont participé à la recherche SAGE (« Les sens de l’agitation chez l’enfant : parcours individuels, dynamiques familiales, pratiques professionnelles »), qui a bénéficié d’un financement de l’Institut de recherche en santé publique (IReSP) et de la Fondation Pfizer.

Pablo Cottet Aude Béliard Eunice Nakamura About the authors

Les travaux présentés dans ce dossier sur l’« agitation » et les « enfants non conformes » émanent des échanges et réflexions au sein d’un réseau de chercheurs qui s’intéressent aux situations où des enfants et/ou leurs comportements sont identifiés comme problématiques ou perturbants.44Ce réseau de recherche s’est développé à partir d’échanges entre les recherches menées au Brésil au LICHSS (Université fédérale de Sao Paulo), au Chili au LaPSoS (Université du Chili) et en France au CERMES3 (Université Paris Descartes) et au CeRIES (Université Lille 3). Pour plus d’informations, consulter le site internet du réseau : <https://en.nonconformes.org/>.

Les enfants et leurs comportements ont fait l’objet de nombreuses recherches en psychiatrie, psychologie, psychanalyse, éducation et pédagogie. Les travaux dans ces différents domaines mettent l’accent sur le développement, la socialisation et l’intégration sociale des enfants. A travers ces recherches, certaines théories scientifiques tendent à légitimer l’idée qu’il est nécessaire d’adapter les enfants et leurs comportements aux attentes sociales et culturelles, c’est-à-dire à des modèles de normalité qui reflètent les valeurs morales des différentes sociétés.

Cependant, les sciences qui traitent du comportement humain sous l’angle du normal et du pathologique ne sont pas les seules à avoir investi ce domaine. Les comportements des enfants sont aussi un objet d’étude important pour les sciences sociales, qui se donnent pour tâche d’explorer et de comprendre de manière approfondie les significations, les concepts, les actions, les pratiques, les politiques, les acteurs sociaux et les institutions créés autour de ces comportements et autour de ces enfants : Qui les identifie comme problématiques ? Comment sont-ils pensés, décrits ? Quelles sont les réponses qui leur sont apportées ?

La classification des comportements des enfants relève d’un processus très complexe qui ne se limite pas aux signes ou symptômes biologiques. Des aspects sociaux et culturels interviennent dans la manière dont ces comportements sont classés en catégories et concepts du point de vue des acteurs sociaux (adultes) et des institutions (de prise en charge des enfants). Des enjeux politiques apparaissent dès que l’on cherche à comprendre selon qui et pourquoi les comportements ou les enfants sont considérés comme problématiques ou non conformes. En ce sens, la question de l’« agitation » et des enfants « non conformes » nous invite à réfléchir à la relation entre les dimensions sociales et biologiques des comportements humains (Mauss, 1968MAUSS, M. Sociologie et anthropologie. 4. ed. Paris: PUF, 1968.) et à ses conséquences dans les sociétés contemporaines.

L’étude de ces processus de qualification permet d’interroger le rapport à la norme sociale. Ils révèlent les normes de nos sociétés contemporaines, celles à partir desquelles ces enfants sont considérés comme non conformes : normes d’attention, d’autonomie ou d’autocontrôle, importance donnée aux performances et au contexte scolaire… Ces comportements perturbants sont souvent difficiles à qualifier, à penser, car ils relèvent d’une intrication entre problèmes médicaux, problèmes psychologiques, problèmes scolaires et problèmes sociaux. Ils sont ainsi révélateurs de la manière dont chaque société qualifie les problèmes, pense les réponses sociales adaptées, organise des séparations et des articulations entre problèmes sociaux et problèmes médicaux.

Ces situations peuvent être abordées à partir de différentes perspectives théoriques. On peut distinguer trois grandes perspectives, qui se déploient et s’articulent dans les articles présentés dans ce dossier.

Beaucoup de travaux ont développé une première perspective, qui met en lumière des processus de médicalisation ou de pathologisation des comportements des enfants. Ces recherches pointent le rôle central de l’école dans la construction sociale de différentes formes de déviance infantile (Pinell; Zafiropoulos, 1978PINELL, P.; ZAFIROPOULOS, M. La médicalisation de l’échec scolaire: de la pédopsychiatrie à la psychanalyse infantile. Actes de la Recherche en Sciences Sociales, Paris, v. 24, n. 1, p. 23-49, 1978.). Un ensemble de travaux ont interrogé les transformations des diagnostics psychiatriques et le développement de différentes désignations médicales de ces comportements problématiques (trouble oppositionnel avec provocation, hyperactivité infantile, trouble des apprentissages, trouble des conduites…). Plusieurs auteurs ont par exemple analysé comment la construction du diagnostic de trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) est liée à différents intérêts : de l’industrie pharmaceutique qui cherche à vendre des médicaments, de l’institution scolaire qui cherche à écarter les enfants les plus perturbateurs, de spécialités médicales qui cherchent à asseoir leur légitimité scientifique (Conrad, 1992CONRAD, P. Medicalization and social control. Annual Review of Sociology, Palo Alto, v. 18, n. 1, p. 209-232, 1992.; Conrad; Bergey, 2014CONRAD, P.; BERGEY, M. R. The impending globalization of ADHD: notes on the expansion and growth of a medicalized disorder. Social Science & Medicine, Amsterdam, v. 122, p. 31-43, 2014.; Malacrida, 2004MALACRIDA, C. Medicalization, ambivalence and social control: mothers’ descriptions of educators and ADD/ADHD. Health, Thousand Oaks, v. 8, n. 1, p. 61-80, 2004.; Rafalovitch, 2004RAFALOVICH, A. Framing ADHD children: a critical examination of the history, discourse, and everyday experience of attention deficit/hyperactivity disorder. New York: Lexington Books, 2004.). Ces analyses peuvent être complétées par celle du processus de banalisation des catégories diagnostiques, c’est-à-dire de diffusion dans le langage commun de catégories médicales (Nakamura, 2017NAKAMURA, E. Les problems de santé mentale durant l’enfance à Santos (Brésil) et Paris: l’interdépendance entre biologique et social dans les comportements des enfants. In: LEMERLE, S.; REYNAUD-PALIGOT, C. (Org.). La biologisation du social: discours et pratiques. Paris: Presses Universitaires de Paris Nanterre, 2017. p. 161-180.), comme on peut l’observer par exemple pour l’hyperactivité dans les sociétés contemporaines.

Suivant une autre perspective (celle de l’analyse de la production sociale des troubles), des auteurs ont proposé des explications de la prévalence croissante d’entités pathologiques construites autour des troubles du comportement, l’augmentation de ces troubles étant alors analysée comme une conséquence des transformations des normes et valeurs dominantes dans les différentes sociétés. Dans cette perspective, on peut étudier la manière dont les transformations sociales et normatives constituent socialement les sujets, façonnent les subjectivités individuelles, produisent des formes de malaise et des grammaires, ou registres disponibles, pour exprimer les souffrances. Alain Ehrenberg (2014EHRENBERG, A. La santé mentale: équation personnelle et relations sociales dans la condition autonome. In: FANSTEN, M. et al. (Ed.). Hikikomori: ces adolescents en retrait. Paris: Armand Colin, 2014. p. 9-20.) fait ainsi l’hypothèse que les transformations de la figure de l’individu, en particulier l’injonction croissante à s’auto-activer et à s’autocontrôler, produisent de nouveaux troubles, à la fois plus nombreux et plus visibles, dans les registres du retrait social et de l’agitation. En dialogue avec ce type d’approches, on peut également insister, comme le proposent plusieurs auteurs de ce dossier, sur la façon dont les inégalités sociales et les rapports sociaux, dans un contexte historique et politique donné, créent des formes de vulnérabilité et orientent l’expression des souffrances individuelles (Radiszcz, 2016RADISZCZ, E. (Ed.). Malestar y destinos del malestar: políticas de la desdicha. Santiago: Social Ediciones, 2016. v. 1.).

Les articles de ce dossier empruntent à ces deux perspectives, tout en mettant l’accent sur un troisième ensemble de réflexions et de pistes de recherches, que l’on peut regrouper sous l’expression d’usages sociaux des troubles. Cette analyse se déploie à deux niveaux : celui des processus de qualification (comment les comportements des enfants sont-ils qualifiés ? comment les enfants directement concernés les vivent-ils ? comment les personnes concernées s’approprient-elles les différents diagnostics disponibles ? quels sens leur donnent-elles ?) et celui des pratiques, interventions et productions de soins (comment les différents acteurs abordent-ils les situations considérées comme problématiques, comment répondent-ils aux comportements perturbateurs et comment gèrent-ils les crises ?). Cette troisième perspective met l’accent sur la multiplicité des points de vue et sur les négociations entre les acteurs concernés : l’enfant, ses proches, les professionnels de l’école ou du soin, etc. (Béliard et al., 2018BÉLIARD, A. et al. Le TDA/H, un diagnostic qui agite les familles: les quêtes diagnostiques autour d’enfants agités, entre rupture et continuité. Anthropologie et Santé, Paris, n. 17, 2018. Disponível em: <Disponível em: https://bit.ly/2FVxe01 >. Acesso em: 3 dez. 2018.
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; Nakamura; Planche; Ehrenberg, 2018NAKAMURA, E.; PLANCHE, M.; EHRENBERG, A. The social aspects in the identification of children’s mental health problems in two health services in Paris, France. Interface, Botucatu, v. 22, n. 65, p. 411-422, 2018.; Singh, 2004SINGH, I. Doing their jobs: mothering with Ritalin in a culture of mother-blame. Social Science & Medicine, Amsterdam, v. 59, p. 1193-1205, 2004., 2012SINGH, I. Brain talk: power and negotiation in children’s discourse about self, brain and behaviour. Sociology of Health & Illness, Hoboken, v. 35, n. 6, p. 813-827, 2012.).

Les concepts d’« agitation » et d’enfants « non conformes » renvoient à des dimensions discursives et épistémologiques ayant une véritable résonnance politique. Les tensions entre le langage courant et commun (enfant à problèmes, difficultés scolaires, hyperactivité etc.) et le langage spécialisé (diagnostics, traitements cliniques, médicaments, procédures et protocoles) prennent place dans un ensemble de situations plus ou moins ordinaires, où interagissent des adultes, des institutions et des enfants. Les régimes de vérité présents dans les situations associées à l’« agitation » et aux « enfants non conformes » révèlent des conflits à différents niveaux d’analyse - deux de ces niveaux au moins sont explorés dans les cinq articles composant ce dossier.

Le premier niveau d’analyse, que l’on pourrait qualifier de socio-épistémique, concerne les conflits entre sens communs et savants, mais aussi entre des perspectives scientifiques (psychodynamiques, neurobiologiques ou psychosociales), institutionnelles (éducative, scolaire, psychopédagogique ou familiale) et générationnelles (enfants versus adultes).

L’article intitulé « Problematic, disturbing and non-conforming children’s behaviours: the concepts and care demands related to agitation in children in Santos and Campinas, Brazil » met en lumière certains de ces conflits. Les auteures, Eunice Nakamura et Tatiana Barbarini, s’interrogent en premier lieu sur les conséquences sociales de l’impossibilité de définir précisément les frontières du concept de troubles psychiques, terme vague sans définition satisfaisante, en particulier pour décrire des comportements d’enfants. Elles montrent ainsi que pour réfléchir aux comportements problématiques, perturbateurs ou non conformes des enfants, il faut saisir comment les concepts utilisés dans les classifications des comportements infantiles imprègnent la formulation des demandes de soins, qui puisent conjointement dans les registres du sens commun et des discours biomédicaux. S’appuyant sur les relations apparentes entre les troubles bio-psychologiques et les attentes ou réactions socioculturelles, les auteures font l’hypothèse que l’agitation est une catégorie vague et multidimensionnelle, qui peut recouvrir différents types de problèmes associés aux comportements des enfants. La masse des discours, connaissances et concepts, qui circulent autour de l’agitation et informent les demandes de soin, est décrite et analysée, en tenant compte des différents acteurs et institutions impliqués. L’analyse se concentre ensuite sur les différentes utilisations de la notion d’« agitation », en repérant la nature des comportements qui les sous-tendent (normaux, anormaux, problématiques, pathologiques…). Elle passe également en revue les acteurs sociaux et les institutions impliqués dans les demandes de soins, soulignant leur interdépendance. Elle revient enfin, dans une perspective socioculturelle, sur les conséquences du fait de définir et de classer les comportements des enfants à partir de cette catégorie vague.

L’article « Against the tide: psychodynamic approaches to agitated childhood in France, between crisis and resistance » analyse les tensions qui traversent les discours spécialisés dans le contexte français, marqué par de fortes controverses. Les auteurs (Céline Borelle, Jean-Sébastien Eideliman, Maïa Fansten, Maëlle Planche et Amélie Turlais) partent des interrogations autour d’une possible « crise » de la psychanalyse. Ces interrogations sont récurrentes dans les discours des professionnels d’orientation psychanalytique rencontrés lors d’une recherche collective sur les trajectoires d’enfants considérés comme agités en France. Durant cette recherche, les auteurs ont mené des entretiens avec des enfants et leur entourage, avec des professionnels travaillant dans des centres de soin, des écoles et des Maisons départementales des personnes handicapées ; ils ont également conduit des observations et recueilli des données dans des centres de soin. Dans ces lieux, ils ont observé une diversité de pratiques, mais dont une nette majorité renvoyait de manière plus ou moins stricte à la psychanalyse, ou plus largement à des approches psychodynamiques. Après avoir présenté quelques-uns des grands principes qui fondent l’approche psychodynamique de l’agitation infantile, l’article revient sur le sentiment de crise que manifestent les professionnels rencontrés et sur les raisons qui peuvent en être à l’origine. Un détour par une analyse réflexive des relations d’enquête permet de mieux comprendre les conséquences de cette configuration sur le travail quotidien en général et sur les relations avec les partenaires institutionnels en particulier.

Un deuxième niveau d’analyse, socioculturel et politique, issu des débats associés à ce que les théories féministes ont appelé l’« intersectionnalité » (Crenshaw, 1989CRENSHAW, K. Demarginalizing the intersection of race and sex: a black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics. Chicago: University of Chicago Legal Forum, 1989.), présente d’autres dimensions qui complexifient les conflits socio-épistémiques mentionnés ci-dessus. Les dimensions de genre, d’ethnicité, de génération, de classe et de niveau socio-économique, d’orientation sexuelle, de capacités différentes, constituent des clés importantes pour comprendre les phénomènes de subordination et de domination, qui doivent également être pris en compte dans les études sur l’agitation et les enfants non conformes. L’intersectionnalité entre ces différentes dimensions peut influencer les trajectoires des enfants, ainsi que celles des adultes responsables de leur prise en charge.

La notion de « trajectoire », elle aussi transversale aux différentes recherches menées dans des contextes nationaux différents, souligne l’idée que l’histoire de la personne se construit dans les interactions entre les différents points de vue et interventions de tous les acteurs concernés. Certains des articles abordent ces trajectoires en explorant l’expérience de la personne dont les comportements, ou ceux de ses proches, sont considérés comme problématiques, l’analyse étant parfois complexifiée par les manières dont ces problèmes s’articulent étroitement avec des aspects socioculturels.

Dans l’article « Rethinking medicalization: discursive positions of children and their caregivers on the diagnosis and treatment of ADHD in Chile », Pablo Reyes, Pablo Cottet, Alvaro Jimenez et Gabriela Jauregui analysent les discours de mineurs diagnostiqués TDA/H. Au Chili, sa prévalence est trois fois plus élevée que la moyenne, ce qui invite à se demander en quoi consiste l’expérience des personnes vivant avec ce diagnostic. En utilisant une approche structuraliste appliquée à une recherche qualitative, les discours de sept enfants et de leurs éducateurs respectifs de deux écoles publiques du pays ont été analysés. Pour ce faire, 14 entretiens approfondis ont été menés, qui ont été analysés sur la base de la stratégie d’analyse structurelle du discours. Les résultats sont organisés en fonction de la « situation TDA/H », avec une structure discursive associant quatre éléments essentiels dans la construction de l’expérience subjective des enfants : (1) le mythe de l’origine, qui situe l’origine du trouble dans des altérations diffuses du comportement et de l’apprentissage ; (2) ambivalences dans/de la médicalisation, qui renvoient au processus de suspicion de la part des adultes (enseignants pour la plupart) et à ses premiers effets ; (3) (dé)stabilisation de l’identité, qui met en jeu la possibilité de recouvrer ou non son autonomie tout en acceptant le diagnostic ; et (4) subversion de la médicalisation, qui renvoie à une sorte de position impossible du parcours subjectif des mineurs. Les résultats ouvrent des perspectives intéressantes pour montrer que l’expérience subjective des enfants atteints du TDA/H au Chili n’est pas homogène. Le TDA/H peut être une source de malaise, dont le traitement empruntera différentes voies qui, dans certains cas, atténueront son incidence, mais dans d’autres l’intensifieront.

L’article « The multiple meanings of ADHD: between deficit, disruption and hidden potential » (Aude Béliard, Javiera Diaz-Valdes, Alvaro Jimenez, Alice Le Goff, Sarra Mougel, Hugo Monsieur) étudie l›expérience subjective du diagnostic du TDAH et les significations culturelles qui façonnent cette expérience. Il compare deux recherches menées au Chili et France, s’appuyant sur des entretiens et des observations avec les personnes diagnostiquées et leur entourage. Ces données montrent que le diagnostic de TDAH peut avoir des significations très différentes. A partir d›une analyse thématique, les auteurs proposent de distinguer trois registres, qui correspondent à trois manières de penser et de vivre avec le TDAH. Dans le registre du déficit, le trouble est perçu principalement comme une défaillance de certaines capacités. Dans le registre de la perturbation, le trouble est perçu comme perturbant la vie, la personnalité et les interactions de la personne, qui sont considérées comme devant être normalisées. Dans le registre du potentiel caché, sur lequel cet article se concentre en particulier, le TDAH est considéré comme un état différent, à la fois difficile et valorisé, une source de capacités exceptionnelles et extraordinaires qui sont souvent cachées dans le fonctionnement ordinaire de la vie sociale. A partir d’études de cas, les auteurs invitent à réfléchir aux facteurs expliquant la mobilisation ou la non-mobilisation du registre du potentiel caché, en mettant un accent particulier sur les configurations relationnelles, les variables socio-économiques, la variable genre mais aussi sur le contexte institutionnel et politique dans chaque pays.

Pour finir, l’article « ADHD and gender: subjective experiences of children in Chile », présenté par Pía Uribe, Gabriel Abarca Brown, Esteban Radiszcz et Eleonora López Contreras analyse comment l’expérience subjective des enfants ayant reçu un diagnostic de TDA/H est traversée par la question du genre. En s’appuyant sur des entretiens non directifs auprès d’enfants âgés de 7 à 13 ans, les auteurs mettent en évidence des tendances générales qui articulent genre et caractéristiques associées au diagnostic de TDA/H, tout en décrivant aussi des expériences d’enfants qui vont à l’encontre de ces tendances. Bien que la recherche sur le TDA/H ait eu tendance à ignorer les différences de genre, des travaux récents, produits principalement par des épidémiologues, ont montré combien ce diagnostic était fortement liée au genre. Ces contributions semblent cependant se limiter à étudier les symptômes et le fonctionnement cognitif, affectif et social des enfants, négligeant les aspects subjectifs associés aux pratiques diagnostiques et thérapeutiques autour du TDA/H. Les résultats sont présentés selon quatre axes émergents : (1) les localisations, (2) les capacités, (3) les approches et (4) les interactions. L’article montre ainsi combien l’expérience du diagnostic par les garçons et les filles est vécue de multiples manières, rendant impossible une réduction de l’analyse à une perspective binaire masculin/féminin.

Quelques pistes de réflexion se dégagent à la lecture des articles qui composent ce dossier. Les places respectives des différentes approches professionnelles sont très différentes dans les trois pays étudiés et sont prises dans des articulations différentes entre système de santé publique et secteur privé. Les interactions entre les familles, les écoles, les professionnels de santé et les possibilités de reconnaissance administrative des troubles prennent des formes différentes, qui donnent des significations différentes aux diagnostics. Ces résultats invitent à une analyse plus systématique des relations entre les points de vue des enfants et des familles, des professionnels de l’école et du soin, mais aussi entre questions administratives et techniques, sur lesquelles pèsent les contextes sociopolitiques spécifiques à chaque pays.

Les analyses présentées dans les articles montrent à la fois la centralité du phénomène de l’agitation infantile dans la diversité des sociétés contemporaines et l’intérêt de poursuivre ce travail commun de comparaison de contextes nationaux singuliers.

References

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    Les résultats présentés dans ce dossier par les auteures brésiliennes sont issus de trois recherches différentes. La recherche post-doctorale « Les significations sociales et culturelles des problèmes de santé mentale des enfants à Santos (Brésil) et Paris (France) : représentations contemporaines de l’enfance » a été financée par le Conseil national du développement technologique et scientifique (CNPq-Brésil). Les deux recherches : « Le contrôle de l’enfance : modes de médicalisation » et « Les réseaux de demande et de soins en santé mentale de l’enfant - relations sociales, familiales, scolaires et sanitaires autour des problèmes d’apprentissage et de comportement de l’enfant » ont été réalisés à Campinas avec le soutien financier de la Fondation de recherche de São Paulo (FAPESP-Brésil) pour la première et du Conseil national du développement technologique et scientifique (CNPq-Brésil) pour la deuxième.
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    Tous les auteurs chiliens de ce dossier ont participé à la recherche « Trajectoires de malaise chez les enfants diagnostiqués TDA/H (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) : expérience sociale et subjective d’une souffrance multiforme », développée par le LaPSoS. Cette recherche a été financée dans le cadre du Concours pour le renforcement de la productivité et de la continuité de la recherche (FPCI) de la Faculté des Sciences Sociales de l’Université du Chili, ainsi que par le CONICYT, à travers son Programme de coopération internationale et de soutien à la création de réseaux internationaux entre centres de recherche (concours 2017), Folio REDES170095.
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    Les auteurs français de ce dossier ont participé à la recherche SAGE (« Les sens de l’agitation chez l’enfant : parcours individuels, dynamiques familiales, pratiques professionnelles »), qui a bénéficié d’un financement de l’Institut de recherche en santé publique (IReSP) et de la Fondation Pfizer.
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    Ce réseau de recherche s’est développé à partir d’échanges entre les recherches menées au Brésil au LICHSS (Université fédérale de Sao Paulo), au Chili au LaPSoS (Université du Chili) et en France au CERMES3 (Université Paris Descartes) et au CeRIES (Université Lille 3). Pour plus d’informations, consulter le site internet du réseau : <https://en.nonconformes.org/>.

Publication Dates

  • Publication in this collection
    Jan-Mar 2019

History

  • Received
    30 Nov 2018
  • Accepted
    10 Dec 2018
Faculdade de Saúde Pública, Universidade de São Paulo. Associação Paulista de Saúde Pública. SP - Brazil
E-mail: saudesoc@usp.br